De l’extérieur, on peut croire qu’il est facile de reprendre une entreprise familiale. Tout est déjà en place, croit-on. Il s’agit d’apporter quelques ajustements, d’avoir un peu d’ambition et de vision, et le tour est joué. Erreur. Quiconque a déjà joué dans ce film sait pertinemment que les choses ne sont pas si simples.
« Le repreneuriat familial est très particulier. L’aspect humain y est fondamental : les liens familiaux sont tout aussi importants que le côté affaires. Investir du temps dans les étapes de préparation permet d’atténuer les tensions existantes… »
La personne qui tient ces sages paroles, c’est Jessica Grenier, cofondatrice et présidente d’Espace ORIA, une entreprise spécialisée en repreneuriat familial. Jessica accompagne depuis plusieurs années des familles d’entrepreneur·es québécois·es sur les aspects qualitatifs des transitions entre les générations.
Il est important de considérer les grands volets de la transmission d’une entreprise familiale :
- La propriété (actionnariat)
- La direction (pouvoir)
- Les savoirs (éducation)
Pour réussir le passage, il est essentiel de bien comprendre les nuances.
Réglons le cas des savoirs : ce sont les connaissances, théoriques autant que pratiques, qui sont transmises aux jeunes, dès l’adolescence le plus souvent. Ces connaissances leur permettront de comprendre les rouages essentiels et de s’intégrer au sein de l’entreprise.
Transmission de la propriété : la transmission peut se faire par le transfert des actions ou des actifs de l’entreprise familiale. Outre les aspects à incidence fiscale, ce sont les dimensions du contrôle et de la valeur financière qui sont mises en avant-plan. Il existe plusieurs options de transmission de la propriété et il est important de prendre le temps d’évaluer les impacts sur les besoins des membres de la famille.
La direction est le troisième volet. C’est la dimension exécutive du legs : qui sont les personnes qui occuperont les divers postes de commande au sein de l’entreprise, qui aura quoi comme pouvoir ?
Jadis, la question ne se posait pas : la direction des affaires revenait au plus vieux des garçons. Mais aujourd’hui, et fort heureusement, les choses ont changé. Ce sont les compétences, la vision et la personnalité qui sont déterminantes.
Non seulement il n’est pas facile d’établir avec certitude qui a les qualités pour reprendre les rênes d’une entreprise, mais les choses se compliquent lorsque des liens affectifs entrent en jeu.
Comprenons-nous bien : vendre une entreprise à des inconnus implique moins, voire aucun, historique relationnel.
Dans la transmission d’une entreprise familiale, préserver l’harmonie dans les relations est un objectif essentiel à considérer.
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Mais comment jongler avec les volets business, humain et familial?
Par la préparation et la communication, nous explique Jessica Grenier.
« Le repreneuriat familial, ça ne s’improvise pas. C’est-à-dire qu’il est souhaitable de mettre du temps et de l’énergie dans la préparation! Puis, de bien s’entourer d’une équipe de professionnels complémentaires, incluant la dimension humaine de l’équation. Les aspects quantitatifs sont essentiels et plus adéquats lorsqu’ils sont arrimés aux aspirations et aux vrais défis de la famille. C’est complexe! »
Qui sont ces professionnel·les qui viendront donner l’éclairage nécessaire? Votre comptable, votre fiscaliste, un·e expert·e en gestion du risque, un·e médiateur·trice, voire un·e psychologue organisationnel·le, un·e coach, des avocat·es, et des hommes et femmes qui ont la bosse des affaires, qui analysent les enjeux avec une tête stratégique et qui ont de l’expérience en situation de repreneuriat.
Insistons : il est crucial que ces personnes, aussi compétentes soient-elles dans leur domaine propre, aient une sensibilité pour la question des rapports humains et comprennent la dynamique familiale qui existe dans un cas donné.
« Même son de cloche chez les expert·es de Desjardins : être bien entouré·e est essentiel à la réussite, car dans le cas d’une reprise familiale la charge émotive est importante, ce qui augmente les enjeux. Dans ce cas, il est nécessaire de mettre en œuvre une structure de communication pour discuter des affaires de l’entreprise afin de transmettre les rôles, les responsabilités, le savoir, le pouvoir, et finalement la propriété. Il est parfois nécessaire de constituer un conseil pour discuter des affaires familiales et préserver l’harmonie, car au-delà de l’entreprise, la famille demeure », note Richard Quinn, directeur principal, Transfert d’entreprises, Mouvement Desjardins.
Bref, il faut s’assurer d’être accompagné·es et d’être bien accompagné·es.
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Certes, l’accompagnement augmente les chances de succès. Mais il a un autre effet bénéfique, non négligeable dans un contexte familial : il dépersonnalise les décisions.
Les décisions prises en collégialité ont non seulement de meilleures chances d’être pertinentes et avisées, elles ont aussi de meilleures chances d’être acceptées par tout le monde.
Et une décision rationnelle, argumentée, qui fait l’unanimité, contribue au succès de l’opération.
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Puisqu’il est question de succès, posons la question à notre experte : qu’est-ce qu’un repreneuriat familial réussi?
Dans la communauté, la définition du succès est galvaudée.
Pour Jessica Grenier, le succès est relatif et dépend de l’angle de vue :
- la pérennité et la prospérité de l’entreprise familiale opérante,
- la cohésion et la régénération du potentiel entrepreneurial au sein de la famille en affaires
Si la société périclite, tout le monde s’entend pour parler d’échec.
Mais si la croissance de l’entreprise se fait au détriment de la famille, qu’elle engendre dissensions, disputes et ruptures, comment peut-on parler de succès?
Et si l’entreprise familiale opérante devait être vendue et que la famille se régénère avec le capital en créant de nouveaux projets d’affaires. Est-ce que cette histoire est un succès?
Le succès, c’est aussi que chacune et chacun ait le sentiment que la transmission s’est faite de manière juste.
« Le processus de décision doit être équitable en ce sens qu’il doit permettre aux membres de la famille de communiquer autour des besoins et des options. Et sur le long terme, ce sentiment de justice est fondamental », ajoute Jessica Grenier.
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Le Québec moderne et entrepreneurial est jeune, nous n’avons pas tant d’exemples de transmissions multigénérationnelles. Mais doucement, les choses changent, et si pendant longtemps les transmissions se sont faites de manière intuitive, on comprend aujourd’hui beaucoup mieux les enjeux. L’approche se professionnalise, et c’est tant mieux.
« On s’en va dans la bonne direction, conclut Jessica. On sait aujourd’hui l’importance qu’ont les principes, les valeurs, la gouvernance. On connaît les modes de rémunération équitables. On sait aussi que les familles, ce sont des systèmes complexes! En ayant une approche à la fois structurée et flexible, professionnelle et en prenant son temps, on augmente de beaucoup les chances de succès. Et on crée de belles histoires. »
Cet article a été rédigé dans le cadre d’un partenariat avec Desjardins ayant pour objectif la création des Parcours Essence-repreneur·es et Croissance d’impact, une initiative d’accompagnement qui permet à de jeunes entrepreneur·es de faire progresser leur projet de repreneuriat et de croissance d’impact par l’entremise de parcours innovants. Pour en connaître davantage sur cette initiative :