Contrer le gaspillage alimentaire, Julie Poitras-Saulnier en fait son affaire. Toutes les actions de son entreprise, fondée en 2016 avec son partenaire de vie David Côté, s’articulent autour d’une véritable mission de sauvetage : récupérer les mal-aimés de notre circuit alimentaire, comme les fruits et les légumes moches, les épluchures de pommes de terre ou le pain rassis, pour les transformer en produits de consommation de qualité irréprochable. Rencontre avec une entrepreneure engagée qui révolutionne le monde de l’alimentation.
« L’objectif de Loop Mission est de créer de la valeur sans soutirer de nouvelles ressources à la Terre, explique Julie. Nous fabriquons des jus pressés à froid avec les fruits et les légumes déclassés par l’industrie alimentaire, des bières avec du pain de la veille fourni par des boulangeries, du gin avec les épluchures et les retailles de pommes de terre des usines de croustilles Yum-Yum, ainsi que des savons à partir des huiles de cuisson d’une chaîne de restauration végane et biologique. » Pour l’entrepreneure, la notion de déchet n’existe tout simplement pas.
Boucler la boucle
Le nom de l’entreprise — Loop signifie boucle en français — illustre parfaitement les rouages de l’économie circulaire, où le réemploi fait que les déchets des uns font le bonheur des autres. « Tout peut être utilisé, tout peut devenir la matière première d’une autre entreprise. Par exemple, nous utilisons des végétaux rejetés pour faire nos jus, mais les fibres résiduelles générées par notre production seront elles aussi réutilisées. » Ainsi, Loop Mission fournit de la matière première à une autre start-up québécoise, Wilder Harrier, qui la transforme en gâteries pour chien. Comme quoi rien ne se perd !
Le mot d’ordre : valorisation
Plus du tiers des aliments sont gaspillés à l’échelle planétaire. Dans les pays développés, la situation est encore plus criante : au Canada, par exemple, le chiffre s’élève à 56 %. Une statistique aberrante qui témoigne de l’urgence d’agir. « Si le gaspillage alimentaire était un pays, il serait le troisième plus grand émetteur de gaz à effet de serre, après la Chine et les États-Unis ! » Pour Julie et son partenaire, le déclic s’est produit lorsque Courchesne Larose, une grande entreprise de distribution de fruits et de légumes, les a contactés pour chercher à résoudre un problème de taille : les seize tonnes d’aliments « mis de côté » chaque jour en attente de valorisation. « L’élément déclencheur a été la visite de l’entreprise, où nous avons découvert les palettes de fruits et de légumes qui allaient partir vers un site d’enfouissement. Ça nous a donné le frisson. J’ai vendu mon condo, David a vendu le sien, on a tout laissé pour se consacrer à Loop à temps plein. » En quelques années à peine, la start-up est devenue une véritable success-story québécoise.
Un impact environnemental considérable
Les activités et le modèle d’affaires de Loop Mission répondent à pas moins de cinq des dix-sept objectifs de développement durable de l’ONU, dont celui, bien évidemment, de la consommation et de la production responsables. Le rayonnement de l’entreprise ne se limite pas à la réduction du gaspillage alimentaire, car ses actions contribuent directement à la lutte aux changements climatiques. « Les matières organiques qui se retrouvent dans les sites d’enfouissement génèrent énormément de gaz à effet de serre. Ils produisent aussi du lixiviat — le jus de poubelle — qui contamine l’environnement. » Et il ne faut pas oublier l’empreinte eau de l’agriculture, qui est de soixante-cinq litres par kilo de fruits et de légumes, ni la problématique de la déforestation au profit des terres agricoles, qui a un impact direct sur la biodiversité. « Avec notre modèle d’affaires, on peut tellement faire plus avec moins. On peut nourrir plus de gens sur Terre en utilisant mieux nos ressources. C’est ce que nous voulons mettre de l’avant. »
Un modèle à suivre
Après avoir décroché une maîtrise en sciences de l’environnement, Julie a mené des projets en marketing et développement durable pendant quelques années avant de se lancer en affaires. Parce qu’elle souhaitait que l’impact positif de son entreprise puisse croître en synergie avec le volume des ventes, elle a attendu de trouver le bon filon — celui de Loop — avant de faire le saut du côté de l’entrepreneuriat. « La rentabilité est une priorité parce que nous voulons démontrer qu’il est possible de faire des profits dans notre secteur d’activités. C’est essentiel pour impliquer les grandes industries et pour créer un véritable mouvement. » Ainsi, Loop insiste pour payer les rejets de ses fournisseurs, qui auparavant devaient débourser pour s’en départir. « Nous voulons créer un modèle d’affaires où tout le monde gagne, et démontrer aux entreprises qu’elles peuvent mieux gérer leurs pertes. »
De beaux projets d’avenir
Lorsque la pandémie a frappé, au printemps dernier, Julie et son équipe rencontraient des producteurs, des distributeurs et des fermiers en Californie dans le but d’y fonder une nouvelle usine Loop. Ils ont dû rentrer au pays et mobiliser les troupes pour lancer un site web transactionnel (en quelques semaines !), mais le projet tient toujours. « Depuis le premier jour, je me dis qu’il va y avoir des Loop partout dans le monde, et ça commence à se concrétiser. Notre objectif pour les cinq prochaines années est d’avoir quatre usines : celle de Montréal couvre déjà le nord-est des États-Unis, et on veut ouvrir les prochaines en Californie, en France et en Australie. Logique, puisque le gaspillage alimentaire est un phénomène mondial. »
De son propre aveu, Julie a longtemps été dans le clan des inquiets et des pessimistes en ce qui a trait à l’environnement et aux changements climatiques. « C’est une des raisons pour lesquelles j’ai toujours dit que je ne voulais pas avoir d’enfants. Je ne voyais pas comment on allait s’en sortir, comment on allait renverser la vapeur. Mais, depuis cinq ans, il y a un nombre incroyable de belles initiatives qui voient le jour et on assiste à un éveil collectif vraiment rassurant. Aujourd’hui, je me suis rangée dans le camp des optimistes et je suis enceinte : je suis prête à mettre quelqu’un au monde, parce que j’ai confiance en l’avenir. Je sais que la situation environnementale est en voie de s’améliorer. »
En savoir plus : loopmission.com
Des ambassadrices inspirantes et des entrepreneures « coup de cœur »
Pour maximiser la force de l’impact de sa campagne, Evol s’entoure de quatre ambassadrices exceptionnelles, dont les entreprises répondent à plusieurs objectifs de développement durable de l’ONU : Marie-Josée Richer, cofondatrice de Prana (consommation et production responsable) ; Cadleen Désir, fondatrice de Déclic (éducation de qualité) ; Dorothy Rhau, fondatrice d’Audace au féminin (réduction des inégalités) ; et, enfin, Mélissa Harvey, fondatrice de Zorah Biocosmétiques (travail décent et croissance économique).
Parmi les 100 entrepreneures retenues pour cette campagne, le jury a sélectionné 3 entrepreneures « coup de cœur » qui se démarquent par leur motivation, leur impact et l’innovation de leurs actions : Sandrine Milante (ÉcoloPharm), Nahid Aboumansour (Petites mains) et Julie Poitras-Saulnier (Loop Mission).
Pour en savoir plus sur ces femmes aussi motivantes qu’inspirantes, nous vous invitons à les découvrir sur notre blogue – ou en écoutant nos balados animés par Sévrine Labelle, PDG d’Evol. C’est un rendez-vous !