Les qualités féminines de nos leaders, une ressource inexploitée?

Cet article est rédigé par Chloé Legris, cofondatrice et directrice générale d’Espace-inc.

En ces temps de grandes turbulences et d’incertitudes à l’échelle planétaire où les défis sociaux et environnementaux ne vont que s’accélérer, il est plus que temps de valoriser les qualités du leadership féminin. Nous avons le devoir, comme société progressiste, d’aller encore plus loin et d’adopter plus rapidement la qualité du leadership féminin, portée tant par les femmes que les hommes, pour affronter les grands défis que nous avons à relever et ainsi changer nos paradigmes.

Naviguer dans un monde d’hommes

Je fais partie des privilégiées. De celles qui ont eu une mère éduquée, présente, autonome financièrement, élevée dans un environnement où j’ai été stimulée, entourée, aimée, et où plusieurs hommes ont été de réels phares dans mon chemin. Ils ont cru en moi et m’ont soutenue. Grâce à eux, je n’ai jamais douté de ma place en tant que femme dans un monde d’hommes.

Mon parcours professionnel, d’abord en ingénierie, ensuite en technologie et en entrepreneuriat, m’a amené à côtoyer quotidiennement, et ce depuis plus de 25 ans, des univers majoritairement masculins. J’ai su y faire ma place avec un certain succès, mais non sans peine et souffrance intérieure. D’incarner pleinement mes valeurs humaines, sociales et environnementales, tout en voulant assurer ma réussite professionnelle et financière, semblait improbable dans ma vingtaine, difficile dans ma trentaine et encore un défi aujourd’hui.

Récemment, une jeune femme entrepreneure me disait à quel point sa lutte intérieure entre être une mère, faire une différence environnementale et sociale et faire de l’argent avec son entreprise lui semblait irréconciliable! Elle ne s’identifie tout simplement pas à l’image qu’on se fait du succès en affaires. Il est temps de changer ce regard et avoir de nouveaux référents.

Au Québec, les femmes ont certes leur place dans le monde des affaires, mais on y valorise encore trop les traditionnelles qualités masculines associées au leadership et au succès en affaires.

Les qualités féminines pour transformer notre monde

L’avenir, que l’on souhaite bâtir pour nos enfants et les générations à venir, dépendra de nos capacités collectives à transformer nos systèmes pour faire face aux enjeux criants.

Les qualités humaines d’empathie, d’écoute, de collaboration et de rigueur, sont associées aux vertus du leadership au féminin alors que celles associées au masculin se déclinent davantage autour de la compétitivité, la confiance en soi, l’autorité et l’analyse. Ces qualités complémentaires ne sont pas en équilibre dans nos sociétés et sont le reflet de là où nous sommes rendus comme humanité.

L’étude canadienne État des lieux de l’entrepreneuriat au féminin réalisée par le Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat (PCFE), démontre que les Canadiennes, tout comme les Américaines et les Européennes, sont plus souvent motivées par l’idée de « faire une différence dans le monde » que les hommes (70,7 % contre 64,8 %). Le Canada arrive au sixième rang des pays d’Amérique du Nord et d’Europe où les créateurs d’entreprise se lancent avec l’envie de « faire une différence », et elles sont plus nombreuses à faire passer le développement durable et l’entrepreneuriat à vocation sociale avant le rendement financier et l’optimisation des bénéfices.

Il y a aussi cette nouvelle génération de jeunes hommes que j’observe. Ils veulent travailler et contribuer à la société pour créer un monde plus équitable qui fait plus de sens. Ces nouveaux entrepreneurs sont ceux qui innovent avec leurs produits et leur mode de gestion. Ils adoptent des pratiques bienveillantes et bâtissent des entreprises qui correspondent à des valeurs plus féminines. Les modèles traditionnels de leadership au masculin ne leur parlent tout simplement pas.

Le leadership au féminin, une responsabilité partagée entre femmes et hommes

Les femmes, en arrivant sur le marché du travail il y a plusieurs décennies, ont dû s’adapter au style de leadership masculin pour faire leur place. L’image de l’homme confiant, compétitif qui prend des décisions, et qui mène sa barque avec autorité sont consciemment, et inconsciemment, reconnus comme étant les attitudes qui mènent au succès. Pourtant, il est désormais identifié que l’empathie, considérée autrefois comme un signe de faiblesse, est aujourd’hui essentielle à toute entreprise soucieuse de ses clients et de ses employés, qui souhaite atteindre une saine performance financière, une mobilisation d’équipe et un positionnement avantageux dans un marché donné. Les exemples pleuvent en ce sens, dont Patagonia et Ben & Jerry’s, pour ne nommer que ces deux cas plus connus.

Toutefois, selon une étude réalisée par le Global Leadership Forecast en 2018 auprès de 2400 organisations, les femmes occupent en général moins du tiers (29 %) des positions de cadre, et seulement 22 % au Canada. Or, il est reconnu que les entreprises qui veulent rester compétitives devront changer leur culture de travail. Les organisations devront être plus collaboratives pour avoir des équipes qui travaillent mieux ensemble, plus bienveillantes pour offrir un cadre de travail respectueux de ses employés afin d’attirer et de retenir la main-d’œuvre en plus de démontrer leurs actions de responsabilité sociale et environnementale aux yeux du public et des consommateurs qui sont de plus en plus avertis.

Le constat est donc flagrant : les femmes peinent encore à arriver aux postes décisionnels pouvant influencer ces transformations, et les hommes eux, tardent à changer leur style de leadership.

Nos choix professionnels comme femmes devraient nous permettre d’incarner sans compromis nos qualités féminines, peu importe notre milieu de travail. Les milieux typiquement masculins devraient encourager haut et fort les vertus du leadership au féminin, qu’elles soient portées par un homme ou une femme. Ils doivent se remettre en question. En ce sens, les hommes en position de leadership doivent désormais se reconnecter plus que jamais sur leurs émotions pour améliorer leur performance, leur capacité de gestion et le travail d’équipe.

Femmes entrepreneures et leaders, faisons-nous encore trop de compromis ?

Jusqu’à tout récemment, je ne réalisais pas tous les compromis que nous avons faits pour prendre notre place, malgré les luttes féministes de nos mères dans les années 70. Nous sommes inconsciemment prisonnières d’archétypes qui ne conviennent pas à nos valeurs de leader féminine. Il persiste dans le quotidien de plusieurs femmes, de subtils comportements qui me semblent si dépassés, que je peine à croire qu’ils existent encore. Un exemple : même si je suis la directrice générale d’Espace-inc, si je suis accompagnée d’un collègue masculin à une rencontre, ce n’est pas rare qu’on s’adresse à lui en premier. Un comportement anodin qui en dit long.

Je vois et j’entends tellement de femmes de ma génération qui doivent encore faire face à ces combats intérieurs et extérieurs. Elles sont des entrepreneures, des gestionnaires, des ingénieures, des politiciennes, des artistes, des investisseures. Elles ont réussi, par une complexe mais heureuse alliance entre leurs qualités féminines et masculines.

Pour bâtir un avenir plus collaboratif, égalitaire et inclusif qui permet la diversité de genre, de couleur, de culture ou de cognition, nous devons nous intéresser encore plus profondément à la complexité de notre humanité et comprendre ce qui nous divise ou nous unit. Ce regard sur les facettes du leadership, au féminin et au masculin, est pour moi essentiel à aborder. Il faut se réconcilier et briser les vieux modèles qui ne tiennent plus la route. En soi, dans nos équipes, dans nos organisations et dans nos systèmes.


Références :

* Evol se dédie au développement de l’entrepreneuriat diversifié et inclusif ayant un impact positif dans la société et s’adresse aux communautés sous-représentées en entrepreneuriat telles que les femmes, les personnes racisées, les personnes immigrantes, les membres des Premières Nations et Inuits, les personnes de la communauté LGBTQ2+ et les personnes en situation de handicap.