Natyf TV ou la télévision en couleur

Natyf TV est une chaîne de télévision francophone axée sur la diversité offerte partout au Québec. Pour nous en parler, nous avons rencontré son fondateur, Jean-Yves Roux, qui nous a raconté avec passion et générosité son parcours du combattant. Car, sachez-le, ne lance pas une chaîne télévisuelle qui veut.

C’est en 2011 que Jean-Yves s’est dit qu’il était grandement temps de diffuser du contenu télévisuel francophone qui était plus conforme à la pluralité des visages qui composent notre société. Rappelez-vous, en 2011 Netflix est un tout nouveau joueur et presque personne ne savait ce que c’était. En 2011, la plupart des foyers québécois consomment du contenu télévisuel comme elle l’a toujours fait : à l’aide du bon vieux câble.

Or, les téléromans, émissions de télévision et films québécois mettaient peu en valeur les personnes de la diversité ethnoculturelle, bien qu’elles représentent une bonne part de la population québécoise. À ce point que des plaintes étaient régulièrement adressées au CRTC et que des recherches sur la question ont dû être entreprises en 2001 et en 2006. Vous l’aurez deviné, les conclusions de ces recherches ont été très claires : notre paysage télévisuel manque de couleur.

Pour Jean-Yves, qui évolue déjà dans le milieu artistique et culturel québécois, cette omission s’est révélée une opportunité. Celle de rendre plus représentatif le contenu télévisuel francophone produit et diffusé au Québec. 

Un peu d’histoire

Jean-Yves Roux a grandi dans le quartier Saint-Michel, dans l’est de Montréal. Un environnement qu’il qualifie lui-même de socio économiquement fragile. Très sensible à son entourage, Jean-Yves s’est rapidement conscientisé aux réalités de sa communauté. Ainsi, à un très jeune âge, il s’est impliqué dans son quartier et dans les centres jeunesse afin d’attirer ses camarades vers autre chose que la rue.

Jean-Yves a rapidement senti que le milieu artistique et la culture pouvaient représenter une porte de sortie et un excellent exutoire pour ces jeunes. 

Cette idée s’est confortée en lui au début des années 1990. À l’époque, Jean-Yves passait tous ses étés à Brooklyn, New York, dans la famille paternelle. Aux États-Unis en 1990, ce fut l’avènement du hip-hop, ce mouvement de contre-culture qui veut changer le monde positivement. Cette musique a eu une influence majeure sur Jean-Yves qui s’est donné comme mandat de la faire vivre chez nous, au Québec.

Depuis, lui est resté cette aspiration d’apporter quelque chose, une opportunité, aux personnes qui en ont besoin.

La démarche

Déjà proche du milieu artistique, travaillant comme agent d’artiste et en production vidéo, Jean-Yves Roux a pris le taureau par les cornes et a décidé de fonder sa propre chaîne de diffusion télévisuelle.

Avec la ferme intention d’apporter une meilleure représentativité de la diversité dans le paysage télévisuel québécois, Jean-Yves a déposé une demande de licence de radiodiffusion au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) en 2011.

La démarche a abouti en 2012 par l’obtention d’une licence dite multiculturelle francophone spécialisée. Cela veut dire que Natyf TV, la chaîne de Jean-Yves, était accessible sur abonnement seulement. Elle ne faisait donc pas partie du bouquet de base des chaînes offertes.

Débuta alors la tournée des grandes compagnies de télécommunications canadiennes. On cogne à la porte des Vidéotron, Bell, Cogeco, Rogers, etc. de ce monde. L’objectif est de trouver la compagnie qui accepte d’offrir Natyf TV aux téléspectateurs et téléspectatrices. Sans succès. Jean-Yves se faisait répondre que l’offre télévisuelle québécoise était bien assez complète pour satisfaire toutes les cultures et qu’il n’y avait aucun besoin d’ajouter une chaîne multiculturelle à l’offre actuelle. De plus, plusieurs chaînes américaines, qui sont bien en avance sur nous en matière de diversité télévisuelle, sont offertes afin de compléter le tableau.

Mais ce qu’elles ne comprenaient pas, c’est que l’on parle ici d’une chaîne francophone, qui articule son offre autour du monde francophone, pas seulement au Québec.

Ce n’est qu’en 2016 que Jean-Yves a pu convaincre Bell d’accueillir Natyf TV. Et ce ne fut pas du gâteau. 

En effet, ces démarches se sont étalées sur un an. C’est en 2017 qu’a été signé le contrat liant Natyf TV et Bell Canada, et c’est le 14 juin 2018 que la chaîne était officiellement lancée. On se rappelle ici que le projet a débuté en 2011.

Ainsi, en 2018, Natyf TV comptait des dizaines de milliers d’abonné·es et s’efforçait de présenter des contenus dépaysants, jamais vus au Québec, mettant en valeur des personnes de la grande diversité. Natyf prenait forme et l’avenir s’annonçait prometteur.

Arrive l’année 2020, et sa prise de conscience collective générée par le décès de George Floyd et la montée du mouvement Black Lives Matter. Certes dramatiques, ces événements ont quand même permis à plusieurs de prendre la mesure des fortes disparités sociales qui clivent notre société.

Il n’en fallut pas plus pour que Jean-Yves Roux veuille en faire davantage pour rendre la société plus inclusive et plus ouverte à l’autre. Il a senti que démocratiser l’accès à du contenu télévisuel provenant de toutes les cultures francophones du monde représentait un excellent levier pour élargir les horizons de tous et toutes. De surcroît, il détient une plateforme parfaite pour atteindre le public.

C’est dans cet esprit qu’il dépose au CRTC une nouvelle demande de licence en 2020. Cette fois, il vise la licence dite « obligatoire », qui permettrait à Natyf TV d’être offerte dans le bouquet des chaînes de base des télédiffuseurs. Un délai de 6 mois a été nécessaire seulement pour savoir si la demande était acceptable par le CRTC. Il a fallu environ 18 mois supplémentaires pour obtenir un suivi de la part de l’organisme. 

L’attente en a peut-être valu la chandelle puisque l’organisme informe Jean-Yves que la demande de licence présentée était complète et recevable, et que le processus pouvait se poursuivre.

Le processus

En ce qui concerne l’approbation finale de cette demande, il y a loin de la coupe aux lèvres puisqu’une fois tous les éléments de la demande réunis, le CRTC lance un appel de demandes concurrentes. Par la suite, le dossier est ajouté au calendrier des audiences publiques et est publié dans la Gazette du Canada au moins 60 jours avant l’audience afin que le public puisse déposer des observations écrites favorables ou défavorables à la demande de licence.

Or, par « public » ici, on sous-entend principalement les grandes compagnies de télécommunication.

Jean-Yves s’en souvient comme si c’était hier. La date et l’heure fatidiques pour déposer une observation écrite à l’égard de cette demande étaient le 7 novembre 2022, à 17 h.

Jusqu’à 16 h 49 ce même jour, tout allait parfaitement bien. Personne ne s’était opposé au projet de Jean-Yves. À 16 h 50 était déposée une première opposition par une firme d’avocats représentant une grande entreprise de télécommunication. À 16 h 51 arrivait une deuxième opposition et, en l’espace de 10 minutes, elles furent plus d’une douzaine à avoir été déposées.

Présentant pratiquement toutes les mêmes arguments de saturation de marché, de dédoublement d’offre et autres réfutations déjà servies, ces contestations se devaient d’être répondues à l’intérieur de 21 jours.

C’est là où tout se jouait. Si Jean-Yves ne réussissait pas à convaincre toutes les parties prenantes au dossier, sa demande ne verrait jamais le jour.

Se préparer

Dans ces circonstances, Jean-Yves a sorti l’artillerie lourde. C’est que, voyez-vous, il avait prévu le coup. C’est ainsi que des influenceurs et influenceuses ont massivement relayé l’information sur le Web, en publiant même les arguments présentés en défaveur du projet. De plus, Jean-Yves a publié des vidéos en direct et participé à une multitude de balados pour parler de ses intentions avec Natyf TV, et de l’importance d’obtenir l’autorisation demandée au CRTC pour les communautés ethnoculturelles francophones québécoises. Une pétition a aussi été mise en ligne alors que Jean-Yves rédigeait son argumentaire en faveur de son projet.

En outre, une journaliste afrodescendante très respectée du milieu et travaillant pour un média très connu a fait un reportage sur la situation de Natyf TV. Malheureusement, il n’a été présenté qu’une ou deux fois à la télévision. Très déterminé, Jean-Yves a décidé de relayer le reportage sur Internet et sa publication est devenue virale sur Instagram.

De telle sorte qu’en janvier 2023, Jean-Yves Roux recevait du CRTC la confirmation que son dossier était complet et qu’une réponse lui serait bientôt transmise.

Celle-ci lui est parvenue le 31 août 2023, jour où Natyf TV s’est vue accorder une licence obligatoire du CRTC. Un peu plus de trois ans après le dépôt de la demande.

Désormais, Natyf TV pouvait réellement faire vivre sa raison d’être qui est de faire découvrir de nouveaux talents et des producteurs et productrices issu·es des communautés racisées. Résolument inclusive, elle donne une chance à des productions qui ont été refusées par d’autres diffuseurs. Mentionnons à titre d’exemple le documentaire Le Mythe de la Femme Noire, réalisé par Ayana O’Shun, qui, après avoir été refusé par tous les diffuseurs sollicités, s’est hissé dans le top 20 du box-office québécois après avoir été accepté par Natyf TV. 

La suite

Natyf TV est enchantée de la direction qu’elle prend dans le paysage médiatique québécois et n’entend pas en rester là. Fermement tourné vers le fait français, Jean-Yves Roux a d’ailleurs participé récemment à titre de panéliste à un sommet sur la télédiffusion francophone en Côte d’Ivoire et a développé une plateforme de vidéo en continu pour rejoindre les jeunes téléspectateur·trices qui consomment du contenu télévisuel presque uniquement sur Internet.

S’il avait un seul conseil à donner aux personnes qui souhaitent se lancer en entrepreneuriat, ce serait de s’assurer de toujours garder une belle attitude positive. Sur le chemin d’un·e entrepreneur·e, il y a toujours plus de portes qui se ferment qu’il y en a qui s’ouvrent. Parfois, ça peut être facile de succomber au négativisme. Surtout en cas d’injustice.

« Il faut persévérer, mais conserver une bonne attitude. Sinon, c’est facile de perdre des contrats ou des opportunités », confie Jean-Yves Roux.

Gageons que cette belle attitude lui a été fort utile tout au long du processus.

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Jean-Yves Roux est très bien accompagné par la directrice régionale de Montréal, Lynn McDonald, une professionnelle chevronnée qui combine une vaste expérience en financement avec des compétences pointues en télédiffusion. Sa maîtrise des enjeux financiers et de la communication audiovisuelle, couplée à sa vision stratégique, fait d’elle une alliée de choix dans l’accompagnement de Jean-Yves. Leur collaboration repose sur un lien solide, forgé au fil du temps, qui s’est établi tout naturellement grâce à la confiance mutuelle, au respect des compétences de chacun et à leur complémentarité. Ensemble, ils forment un duo dynamique, capable de relever les défis complexes avec efficacité et créativité.

Grâce à l’engagement de précieux partenaires : Économie Québec, par l’entremise de son mandataire Investissement Québec, le gouvernement du Canada, la Banque Nationale, la Banque de développement du Canada (BDC), le Fonds de solidarité FTQ et Fondaction, Evol dispose d’une enveloppe d’envergure pour soutenir, par le biais de prêts conventionnels, des entreprises à propriété inclusive et diversifiée, générant des impacts sociaux et environnementaux positifs alignés sur les objectifs de développement durable de l’ONU (ODD).

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